La communauté copte de Mansheyet Nasser Elzabalen compte environ 27 000 individus. Chassés du Caire, ils se sont installés il y a une cinquantaine d’année à la périphérie de la capitale Egyptienne où ils ont su mettre en place une véritable économie parallèle. Excluse et méconnue des égyptiens eux-mêmes qui l’associent à une dangereuse population, cette communauté copte ne bénéficie d’aucune forme de reconnaissance ou d’aide de la part du gouvernement. Toute l’activité de cette communauté tourne autour de la collecte des déchets du Caire, immense voisine de 20 millions d’habitants. A partir des ramassages quotidiens, une vaste organisation gérée par l’ensemble des familles sélectionne les déchets avant de les rediriger vers un système interne de recyclage, où chaque type de déchet est retravaillé pour leur donner un second souffle.
C’est au sein de cette immense ruche que l’on peut découvrir ceux que Isabelle Serro a vite nommé les « Magiciens de l’Aluminium », prenant comme matière première les vieilles canettes de soda pour les fondent dans des fours artisanaux puis les couler en plaques d’aluminium, pour les revendre ensuite dans le pays ou à des compagnies étrangères.
Grâce à Moussa son jeune guide de 15 ans, Isabelle Serro a eu la chance de partager le quotidien de cette communauté, et ainsi pu découvrir ce monde parallèle des Magiciens de l’aluminium.
Mettre en lumière ceux qui font de l’utile à partir de l’inutile, la magie à l’état pur….une formidable foi dans le futur et dans le possible !!! Non seulement la magie l’a interpellée mais également la dignité et la ferveur de ces personnes dans des conditions de vie au quotidien extrêmement difficiles. Malgré tout la vie est là, et on regarde vers le haut avec fierté. Cette communauté a su extraire des rejets de la capitale grouillante une économie qui est la sienne.
A la nuit tombée, après une journée de labeur et malgré les coupures d’électricité quotidiennes qui n’épargnent aucun égyptien, on étudie à la lumière d’une bougie le français, dans l’espoir d’un futur meilleur et ce dans la plus grande ignorance de millions de citadins qui vivent à côté.
Les mots d’Isabelle Serro
En 2013 je suis en Egypte pour couvrir la destitution du Président Morsi et l’arrivée au pouvoir du Général Abdel Fattah al-Sissi. Tout au long de ces mois, j’essaie de comprendre quels sont les différents mouvements et raisons qui ont engendré cette situation. Parmi les rapprochements que je vais réaliser, il y aura celui avec la communauté copte qui était alors la cible de nombreux attentats.
Par effet de dominos, et grâce à mon intérêt pour cette communauté, je fais la découverte des zabbâlin, plus communément appelés les chiffonniers du Caire.
De part la tension qui règne alors dans la capitale à cette époque mais aussi et surtout à cause de nombreux préjugés , mon entourage au Caire me déconseille vivement de me rendre dans cette communauté où aucun taxi ne voudra de toute façon se rendre.
Curieuse de comprendre ce qui peut animer 37 000 individus qui vivent à la périphérie du Caire, je vais tout mettre en place pour être en mesure de m’y rendre.
Les premiers contacts ont été particulièrement difficiles car les habitants étaient très suspicieux quant à la présence d’une femme européenne dans un lieu où s’entassent quotidiennement des tonnes de déchets d’une ville de plus de 20 millions d’habitants, dans une chaleur étouffante et des odeurs pestilentielles.
A l’époque, même si c’est encore un peu le cas il était quasiment interdit de prendre des photos au Caire, ou dans ses environs sans être arrêté.
Tout photographe étranger était alors assimilé à une menace potentielle quant à ce qui était entrain de se mettre en place.
C’est donc dans cette atmosphère que je vais faire mon entrée dans la communauté des zabbâlins.
J’y suis d’abord allée une journée… puis y suis retournée… encore et encore.
Les personnes dans les ruelles avaient fini par retenir mon prénom et j’ai commencé à m’assoir avec eux dans les déchets, à accepter les nombreux thé qui m’étaient offert .J’ai commencé doucement à m’intégrer dans le paysage , à me faire accepter par quelques personnes puis par un plus grand nombre et nous avons ainsi pu commencer à communiquer.
Et puis un jour, au détour d’une ruelle, dans un cul de sac je vais rencontrer Les Magiciens de l’Aluminium. Cette rencontre a été pour moi un moment intense car je n’avais jusque là pas soupçonné leur présence et leur activité. Le sentiment d’avoir pénétré une strate supplémentaire, un univers inconnu.
Dans ce monde d’hommes, une femme étrangère a pu paraitre au départ surprenant et puis là aussi j’ai pris le temps de venir et revenir encore et encore.
Ce n’est qu’après toutes ces visites, que j’ai commencé à faire quelques clichés.
Très rapidement j’ai du faire face à de nouvelles difficultés à savoir la chaleur des fours qui pouvait endommager mon appareil photo mais aussi l’incroyable poussière qui se dégage de cette activité.
Étant complètement séduite par ces travailleurs de l’aluminium qui sont spécialisés sur le recyclage des canettes de soda, je me suis alors focalisé sur l’activité de ces hommes.
Durant mes premières visites je m’efforçais de respecter un espace entre homme et femme, distance qui est venu tout naturellement s’imposer à moi. Avec le temps cet espace s’est considérablement . Ne parlant pas l’arabe ou très peu, c’est grâce à ce respect que les relations se sont construites.
Je repensais alors aux conseils bienveillants de mes amis égyptiens qui m’avaient mise en garde quant à la dangerosité de cette communauté.
J’ai alors décidé que mon reportage aurait pour objectif de tenter de renvoyer une autre image de ces personnes, d’illustrer aussi le fait qu’à partir de ce qui était devenu inutile pour 20 millions de personnes, 37 000 personnes pouvaient en vivre en créant une économie parallèle : To do usefull with useless !
Après plusieurs mois, j’ai réalisé un petit livre photos de mes premiers clichés en 20 exemplaires et je suis repartie à la rencontre des Magiciens de l’Aluminium.
La découverte de ce livre a eu un formidable effet car ces travailleurs avec qui j’avais passé plusieurs jours n’avaient sans doute pas compris au préalable quel était mon objectif.
L’effet miroir avait fonctionné et un homme que j’avais rêvé de photographier et qui avait jusque là refusé s’est vigoureusement manifesté.
Voyant qu’il n’était pas dans le livre, il s’est alors ouvert et toute une série de clichés est née .
Lors de mes reportages, j’ai besoin de vivre avec les personnes que je photographie, de me mettre à la même hauteur afin de mieux appréhender leur quotidien . C’est ainsi que j’ai demandé pour être hébergée dans une famille afin de partager leur quotidien !
Je crois qu’il ont été très touchés par cette demande et c’est ainsi que j’ai vécu plusieurs jours à différentes reprises chez Mousa, jeune travailleur de 15 ans .
Chaque matin, devant les habitants du quartier, il était fier de sortir de chez lui avec moi pour aller au four artisanal de son père et cela m’a considérablement aidé dans la réalisation de ce reportage, réalisé sur 18 mois .
Isabelle Serro