Un évènement et une rencontre sous le patio de La Place des photographes, du 5 au 22 septembre 2019
Voies Off – Été indiens
En remontant le fil de ma vie, je retrouvai le moment précis de ma jeunesse où la nécessité impérieuse d’écrire s’imposa naturellement à moi.
Je n’ai pourtant jamais tenu, à proprement parler, ce que l’on appelle un “journal intime”. J’écrivais beaucoup par thème, sur l’amitié, l’amour, la mort, les relations, etc… A hauteur bien sûr de mes émotions d’adolescente.
Je questionnais en réalité ma plume elle-même, n’attendant étrangement plus de réponses des « Grands », en tous cas pas de ceux qui m’entouraient. Je découvre alors avec elle un trajet rare qui échappait au filtre de mon mental, et qui révélait alors des fulgurances fluides, limpides, révélatrices même de choses inconnues de moi qui me surprenaient, me décontenançaient parfois, autant qu’elles pouvaient me réjouir : Me fascinaient quoiqu’il en soit.
Par la même impulsion vitale, j’interrogerai bien plus tard le Verre de Murano, cette hypnotique matière lorsqu’elle se met à danser, à fusionner sous la flamme d’un chalumeau. L’émergence de l’objet.
Puis enfin, vint le médium photographique.
Finalement, ce dernier m’aura si discrètement accompagnée tout au long de ma vie, par un père passionné, qu’il reviendra tout naturellement, se placer au devant de la scène comme Le Maître de cérémonie. La liberté de mouvements, d’explorations que l’acte même de photographier me proposait résonnait mieux alors avec ma nouvelle liberté d’être : personnelle et grandissante. J’explorais du coup mes terres intérieures tout en pouvant arpenter physiquement, de mes pas balbutiants mais confiants, cette merveilleuse pleine nature, isolée, où je m’étais désormais installée.
Mon cheval d’alors, ce grand rêve d’enfant enfin réalisé, n’y sera pas non plus totalement étranger.
Plus récemment, le besoin de retoucher la matière physiquement, de retrouver ce même trajet intuitif entre l’âme et la main, de pouvoir aussi faire aboutir « seule » l’oeuvre, s’est fait ressentir. Cet élan m’amène désormais à jouer aujourd’hui avec la terre, le bois, la cendre, au travers de la peinture et la sculpture. Cela crée finalement un équilibre avec les images qui elles, par contre, ont nécessairement besoin du talent des Tireurs de mon laboratoire professionnel pour exister pleinement.
En questionnant ainsi mon chemin et le processus créatif lui-même, j’en arrive enfin à considérer que je ne suis bien qu’un fil conducteur de quelque chose de bien plus « vaste » que moi, que je ne puis même prétendre posséder, ni même acquérir, et qui pourtant m’anime depuis l’enfance. Mes créations semblent ainsi reliées à une Source qui éprouve finalement l’envie de (se) faire corps, de se matérialiser dans la matière, comme si elle désirait tout simplement prendre conscience d’Elle-même.
Opérant dans le même mouvement créatif ; tel un pendule qui jouirai bien plus de vouloir tendre vers son point d’immobilité que d’y parvenir ! : Une modification de mon être, de celui qui n’a jamais, en réalité, cessé de vouloir se reconquérir pour tenter intuitivement de ne faire qu’Un, dans le « ici et maintenant ».
L’ émotion étant finalement le courant indispensable à tout cela,
Il me semble alors que tout est à jamais relié, de manière visible ou invisible, consciente ou inconsciente, d’une façon ou d’une autre.
Que tout a du sens. Entre nous. Entre tout.
Ce processus, de plus en plus confiant et joyeux, devient finalement aussi essentiel pour moi que l’œuvre finalisée, qu’elle quelle soit.
“Le savoir n’est qu’une rumeur tant qu’il n’a pas pénétré le corps”
(Dicton de la tribu Asaro – Indonésie)
Hélène Carron